Son témoignage : Un regard sur la Filière…
Après 7 années à la tête de l’agence régionale Bretagne de l’ONF et comme membre du CA de Fibois Bretagne, il est possible de faire un retour en arrière et regarder l’avenir.
Le regard dans le rétroviseur, c’est d’abord saluer le dynamisme de l’équipe Fibois. Jamais en manque d’imagination pour communiquer, innover, prendre des initiatives avec un seul objectif : promouvoir la filière et tous les avantages de la solution bois. L’inventaire ne sera pas exhaustif, mais comment ne pas citer les assises de la forêt, le prix régional de la construction bois, la démarche Forêt Bois et Territoire, l’Appel à Manifestation d’Intérêt pour la construction bois sur le territoire de Rennes métropole, l’aménagement intérieur des nouveaux locaux, rue de Suède.
C’est aussi saluer la capacité de tous les acteurs de l’amont à l’aval à rechercher le consensus et une vision partagée des enjeux à long terme, à conserver une filière solidaire et penser à l’intérêt collectif avant l’intérêt particulier de court terme. Une solidarité indispensable pour être fort et reconnu à l’externe. Incontournable aussi en interne pour l’existence même de la filière : comment construire en bois « local » si le propriétaire forestier ne peut gérer durablement la forêt, avec pour chacun des maillons les moyens nécessaires et les équilibres financiers à trouver.
L’ouvrage « L’arbre et le bois – Fiers de nos racines » est une illustration remarquable de cette unité de la filière.
C’est aussi une présentation aboutie de tous les services rendus par l’arbre, y compris sous forme de matériau bois, évidemment !
Et c’est peut-être le premier élément d’une stratégie de communication nouvelle autour de l’arbre, symbole universel, et porte d’entrée d’une culture commune à acquérir entre tous les acteurs de la vie politique et sociétale. Les « Rencontres bretonnes de l’arbre » organisées le 25 novembre s’inscrivent dans la continuité de cette stratégie dont on peut penser qu’elle portera ses fruits. Dans le même esprit, la Région Bretagne, qui finance déjà le programme Breizh Forêt Bois, s’engage dans l’écriture d’un plan breton de l’arbre. La cohérence temporelle et la synergie des acteurs ne font aucun doute. L’arbre devient sujet transversal et enjeu majeur de demain.
La volonté commune et l’ambition partagée des acteurs devront être d’autant plus forte que deux défis majeurs seront à relever ; et ceci sans en exclure d’autres qui pourraient survenir par les évolutions géopolitiques mondiales et le commerce international.
Le premier des défis est celui de l’adaptation des forêts au changement climatique. Tous les modèles disponibles construits à partir des scénarios du GIEC prédisent que la plupart des essences forestières d’aujourd’hui en France métropolitaine verront leur aire de répartition ou de survie fortement diminuer dans quelques dizaines d’années (climessences).
Les dépérissements sont déjà marqués dans certaines régions après des épisodes répétés de canicules et de déficits pluviométriques : le sapin dans les Vosges, les épicéas de plaine et le hêtre dans le quart Nord-est, le chêne en forêt de Tronçais, le pin sylvestre dans le Centre Val de Loire.
Le forestier, accompagné par les organismes de recherche, imagine les solutions adaptatives : la migration assistée (la même essence, mais avec une origine méridionale), l’introduction de nouvelles essences, mais aussi le recours à la régénération naturelle des peuplements en place en espérant une sélection naturelle d’arbres plus résistants, ou encore une sylviculture privilégiant la diversité des itinéraires techniques (mélange des essences, rythme, surface et intensité des coupes, futaie régulière et irrégulière, îlots de naturalité…). Ce que l’ONF essaie de traduire sous le terme de « Forêt mosaïque » et qui fera l’objet d’une réflexion partagée avec les autres partenaires intéressés.
Tout ce travail devra être emprunt d’humilité, nul ne peut prétendre détenir la solution miracle. Et les risques sont sans doute d’autant plus grands que les modèles s’appuient sur des « moyennes » et que rien aujourd’hui ne nous protège de la survenance potentielle d’un événement climatique exceptionnel qui viendrait totalement modifier la situation : comment réagira la forêt à une succession rapprochée de sécheresses ou de canicules estivales ?
A contrario, il n’est pas permis de ne pas essayer : le pire qui pourrait nous être reproché, et à juste titre, ce serait de ne rien faire, de ne rien tenter.
À cette vision pessimiste (ou réaliste ?) on peut opposer un espoir secret pour la Bretagne : les prévisions de Climessences montrent qu’elle est relativement bien épargnée des dérèglements climatiques, notamment eu égard à la pluviométrie, sur sa partie Ouest. Le bassin de Rennes et le sud Morbihan apparaissent quant à eux plus impactés.
Alors demain : la Bretagne, grenier à bois de la France ?
Bien sûr, et malgré les incertitudes, cela renforce la nécessité d’adapter l’outil industriel de transformation à la ressource feuillue non valorisée d’aujourd’hui, avec des nouveaux produits à inventer, et à celle de demain lorsqu’elle sera connue et disponible.
Et cela nous amène au second défi à relever : l’acceptabilité sociale de la gestion forestière.
Si l’ensemble des services rendus par l’arbre est bien reconnu par tous, il n’en est pas de même pour le matériau bois dont la récolte est souvent contestée. D’arbre consensuel, il devient arbre conflictuel.
Il nous appartiendra de faire œuvre de pédagogie pour expliquer tous les avantages du matériau bois et en particulier dans les bilans carbone (stockage et substitution), de la nécessité de couper un arbre pour avoir du mobilier ou de la charpente bois (et de préférence en « circuit court » plutôt qu’importé), de l’impasse que constitue la libre évolution pour optimiser la captation du carbone.
Expliquer aussi que la forêt est l’écosystème où la biodiversité est la mieux conservée, que les résineux et cortège animal associé, comme les milieux ouverts après coupe en font partie et l’enrichissent, pourvu qu’ils ne soient pas des modèles exclusifs.
Entendre que le bouleversement du paysage par une coupe rase ou définitive puisse choquer, et la replacer dans le contexte de gestion forestière à l’échelle du siècle.
Admettre que la forêt soit perçue comme bien commun, non pas que le propriétaire en soit dépossédé, mais que les services rendus par la forêt bénéficient à tous : le paysage, la qualité de l’eau, la biodiversité, les effets positifs sur le bien-être et la santé…
Mettre en place une gouvernance nouvelle à différentes échelles du territoire pour dialoguer, concerter, échanger avec les citoyens, les associations et les élus territoriaux.
Le forestier de demain, même s’il reste au final décideur de ses choix de gestion, devra encore plus s’ouvrir à la société et intégrer ses attentes, pourvu qu’elles soient légitimes. Les instances de dialogue limiteront aussi le risque de radicalisation des opinions et les affrontements stériles et dangereux, voire haineux, tels que nous pouvons l’observer sur les réseaux sociaux à propos des coupes, des plantations de résineux ou de la chasse.
Je ne doute pas que ces deux défis, et d’autres encore, seront relevés par la filière bois et ses partenaires.
Forte de sa cohésion et riche de la diversité des femmes et des hommes qui y travaillent, elle est promise à un bel avenir.
N’ayons pas peur de dire que le bois sera un atout majeur pour espérer améliorer les conditions de vie sur la planète.
Soyons-en fiers !